L'œuf sans coquille
Un film-opéra où un homme-diva (Thierry Dubost) chante avec une voix de contralto alors qu’il massacre la poule sous toutes ses formes que lui apporte l’homme en queue de pie (Jean Rouch). Jusqu’à ce qu’un esclave vienne lui apporter la preuve de son amour pour la poule qui est blottie sous son bras...C’est alors que le cauchemar bascule dans le rêve.
Interprétation
Thierry Dubost, Gammon Sharpley, Dariusz Adamsky, Jean Rouch, J.M. de La Planque, Dominique Lemeur, Christopher Archer
Thème originale - Air de Paris
Rina sherman
Musique et interprétation
Jean Pacalet
Art Directing et Costumes
Arianne Besson
Sélections en festivals
Festival du Court Métrage en Plein air de Grenoble .
Festival de Prades .
Festival de Roanne .
Festival d’ Uppsala, Suède . Weekly Mail, Johannesburg, Afrique du Sud,
Festivals of Grenoble. Prades, Roanne, France. Uppsala, Sweden. Weekly Mail, Johannesburg.
L'œuf sans coquille selected for the
Jean Rouch Retrospective, « L'année de la France au Bresil », 2009 |
L'œuf sans coquille
Rina Sherman
35 mm, 13 mn, 1992

World Sales
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Textes
Vers L'œuf sans coquille
La préhistoire
Le divan du poulet
L'œuf sans coquille est une sorte d'opéra dont le thème central est le poulet. Ce thème correspond à une obsession personnelle. Je suis fétichiste de poulet. Enfant déjà, j'avais mon propre poulailler. Une fois, j'ai gagné une poule au tir à la foire de l'Eglise. Ma grosse poule brune aux reflets rouges, serrée sous le bras, j'ai pris le chemin de la maison. Cette poule aimait être assise sur mon épaule, jusqu'au jour où Mère a décidé qu'elle avait assez de viande sur l'os. Peu de temps après, elle a fini ses jours dans la marmite.
De toutes les poules que j'ai eues dans ma vie, Flabellula était ma préférée. Elle pondait un œuf par jour, parfois deux. Le soir, au coucher du soleil, j'allais la coucher sous le figuier. Je la grattais sur le dos entre les ailes. Elle émettait de doux caquètements. Elle fut un compagnon de route.
Après que je me suis exilée d'Afrique du Sud, Flabellula a été donnée aux parents d'une amie qui l'ont mangée.
Pendant mon enfance, j'ai souvent assisté à l'abattage d'animaux. Dans le désert du Kalahari où vivaient jadis mes grands-parents, l'égorgement de bêtes faisait partie de la chaîne de nourriture. Mais un jour dans notre jardin au Cap, j'ai découvert Mère en train de décapiter tous mes poussins. Il y en avait une douzaine. Certains étaient déjà morts. D'autres, acéphales, se précipitaient dans leur dernière course. Ils couraient dans tous les sens en émettant des caquètements consternées. Aussi, l'aspect sacrificiel de l'abattage, ce moment de rendre sacrée une chose, s'inscrit relativement tôt dans mon paysage original.
Plus tard, j'ai retrouvé le poulet sous une forme imaginaire. Commence alors une longue recherche sur l'image du poulet, qui se manifeste par des poèmes, des performances, des films (dans un précédent film Chicken Movie Cluck, le poulet est déjà abordé sous cette forme d'expression), des séances de photo, ainsi qu'une étude sur la présence de ces gallinacés dans pratiquement toutes les cultures du monde.
Dans L'œuf sans coquille, je voudrais associer la musique à l'imaginaire visuel du poulet. Musicologue, ma sensibilité passe aussi par l'ambiance sonore des images. La musique, ayant pour effet de dépasser la simple réalité de l'œil et de la transporter dans une autre dimension, participe au sacré. Aussi, la conception d'une image est autant sonore que visuelle. De même que pour ce film, outre le fétiche du poulet, l'amorce musicale est un thème que j'ai composé, il y a longtemps. Ce thème s'entendra consécutivement, ainsi que simultanément, joué par l'accordéon, "chanté" par des poulets ("sampling" des bruits de poulets traités) et chanté par une diva à la voix basse et un homme soprano. Les mots sont ceux de la trame narrative sonore, pas forcément dans l'ordre d'écriture, mais plutôt selon le découpage qu'imposera la forme contrapuntique de la composition musicale.
Les lieux de tournage
Le poullaier sans clôture
Dès l'instant où je suis entrée dans « La cour des Massacres », ancien quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre, j'ai su que ce lieu était celui qu'il me fallait pour tourner L'œuf sans coquille. Aujourd'hui la peinture défraîchie sur les bas-côtés des murs donne une impression d'abandon. Pourtant, on imagine très facilement la grande folie qui y régnait autrefois, un lieu où l'ailleurs n'avait pas de sens.
Il en fut de même pour l'ancien réservoir. Debout au milieu du bassin, parmi d'imposants piliers en pierre, on a l'impression d'être immergé dans la masse d'eau qui, dans le temps, était contenue là. Ce bassin peut également être aménagé pour des séquences prévues dans des lieux indéfinis, comme celle où les moines observent la diva sacrifier les poussins.
Pour le tournage de la scène du dîner, la pièce à poutres au-dessus du réservoir, présente le lieu idéal.
Le quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre sera donc l'unique lieu de tournage, préservant ainsi l'unité d'espace avec celle de l'unité sonore et de l'ambiance visuelle.
L'histoire
L'OEUF SANS COQUILLE
Une lumière blafarde s'élève et traverse des voiles opaques troués d'ovales qui cernent la sphère. Du fond, provient un thème langoureux joué à l'accordéon. Par moments, syncopant le thème, des flammes artificielles dansent au centre des oves de lumière traçant des silhouettes de corps, de visages immobiles.
Les bribes de mélodie s'amplifient peu à peu alors que les éclats de lumière au centre des oves se transforment en torches de néon aux tons acidulés. Le thème évolue en une variation staccato de cris de coq. Dans la lumière multicolore, apparaît une diva à la coiffure monumentale et habillée d'une robe de bal, accompagnée de quatre moines. Ils exécutent des gestes saccadés, saisissant les torches de néon suspendues au milieu des trous ovales.
Au son de l'accordéon, s'ajoute l'incantation d'une voix tantôt basse, tantôt soprano. Puis, de doux caquètements de poules pondeuses entrent en note de pédale. La diva s'avance debout sur un socle à roulette en dessinant de petits mouvements circulaires. Elle tient sa torche dont la lueur s'intensifie progressivement jusqu'à l'éblouissement de l'image alors que l'exposition du thème s'achève.
Dans une pièce à poutres, les moines viennent se réunir autour d'une table en verre dressée de couverts transparents. La table est posée sur une palissade en bois qui entoure un trou au milieu de la pièce. Un homme en queue de pie monte dans la pièce par l'escalier avec un gros poulet de glace sur un plateau en verre et le pose au milieu de la table.
Depuis la pénombre, la voix basse de la diva s'élève et forme un duo pentatonique avec celle de l'homme en queue de pie. D'un coin de la pièce, entre deux fenêtres, roulant sur son socle, la diva s'approche de la table.
Elle prend un marteau et un ciseau et plante celui-ci dans le gros poulet. Par à-coups délicats, elle fait voler des éclats de glace. L'homme en queue de pie ramasse les morceaux dont la couleur devient jaune clair alors qu'il les touche. Il les sert aux invités puis s'installe au garde-à-vous dans la pénombre entre les deux fenêtres.
La diva enchaîne avec une autre variation du thème pendant que les moines laissent fondre les fragments de glace jaune sous leurs torches. Les éclats se métamorphosent progressivement en d'artificiels poussins jaunes et poilus. À l'accordéon, la voix tantôt basse, tantôt soprano de la diva, dont les accents sont de plus en plus hachés, s'ajoutent des sons staccato de poussins agités.
Soudain, les moines détachent des épingles de leurs cols et les enfoncent dans le bec des poussins. Les torches placées sur la table s'éteignent lentement. La diva contourne la table sur son socle tout en poursuivant son incantation dans un registre de plus en plus aigu. Fondu au noir.
Dans la pénombre qui règne sur le palier de la Cour des Massacres, des bruits de sabots résonnent sur un sol pavé. Suspendues au plafond, des ampoules s'allument. L'homme en queue de pie longe la cour flanquée de colonnes. D'une voix monotone, il marmonne des oraisons. À travers la lisière des colonnes, il s'avance, traînant par une laisse un coq artificiel posé sur un socle roulant. Les craquements des portes s'incrustent sur les voix de l'accordéon et de femme basse. À chaque fois que l'homme et le coq passent devant une porte, les bruits de poulet, suivant la mélodie du thème, s'alternent : sons de poules pondeuses, de poules excitées après avoir pondu, cris de coq annonçant l'aube, de poulets consternés... L'homme et le coq sur roulettes disparaissent au bout du corridor lorsque le thème s'achève en un chœur de sons de poulet.
Penchés vers l'avant sur des passerelles donnant sur le bassin du réservoir, les quatre moines regardent vers le bas. La voix de la diva s'élève en une version magistrale du thème. Debout devant un billot en bois, elle brandit une hache. Autour d'elle, des poussins artificiels jonchent le sol. Certains sont décapités, d'autres encore intacts. La diva lève la tête quand un homme vêtu d'un froc et d'un turban plastifié s'approche d'elle à petits pas. Il tient une poule blanche sous le bras. D'un geste répétitif, il caresse lentement la poule sous les ailes alors qu'il fixe la diva de ses yeux. Menaçant de couper la tête du poussin qu'elle tient sur le billot, elle interrompt son geste et d'une voix basse dite à l'homme :
La DIVA
Si tu penses que cela m'est facile, tu te trompes.
Fondu au noir
Un choeur de voix de femmes tantôt basse, tantôt soprano chante en crescendo. Dans la cour, la diva et les quatre moines se promènent. Ils forment un cortège derrière elle et se dirigent vers le porche de la cour.
L'homme en queue de pie traverse l'espace en diagonale. Il passe entre la diva et les moines. La voix de la diva s'impose alors au-dessus du choeur.
Au passage, l'un des moines donne un coup de pied dans un seau en zinc renversé contre un arbre, puis continue et part vers le porche. De faibles caquètements proviennent du seau.
L'homme en queue de pie s'arrête. Il lance un coup d'oeil vers la diva, hésite, puis s'approche du seau. Il le retourne. Une poule à moitié évanouie en sort; elle se secoue, caquette doucement, puis suit le moine qui s'en va. Le cortège poursuit son chemin vers le porche par lequel il disparaît.
FIN

The film is set in the old quarters of the Kremlin-Bicêtre Hospital outside Paris. The massacre scene was shot in the old reservoir, which was in part built by the inmates and the final scene was shot in the Court of Massacres where, during the French Revolution, an expedition of Parisians "cleaned" Bicêtre from of some 300 "psychiatric patients" which at the time included anything from venereal disease to mental disorder.
An Egg with no Shell could be read as an attempt at gesamtkunst with various autobiographical strands conveyed intermittently by image and sound, textured with a leitmotiv of chicken visuals and sound, and set in a historical setting charged with tragedy. These various elements are unified through constant allusion to near-symbols as one imaginary rite flows into another.
Why An Egg with no Shell ? But is a transparent egg less mysterious, some would ask. The demystification of hidden dimensions is represented by the transparent treatment in the art design. The film uses dream and memory as source materials and in a sense could be interpreted as a subconscious narrative. After a man's mother told him about a dream in which she made love to his brother, she concluded: "Any way, I'm not directly involved, it is my subconscious." The principal character of the film, the Diva, leads the action as an ode to spiritual hermaphrodism where conditioning ("éducation sentimentale") does not mask our dual nature. His attitude to life as a reality we become, at least in part, as we continually create ourselves, as opposed to life being a mere adaptation to a set of absolutes, requires continued sacrifice, of which the conclusive expression in the final scene is his resignation to the ultimate solitude of the human condition.
Rina Sherman
Paris, June 1992
My first published poem shortly before leaving South Africa. Following this publication and my first film, Antics of the Artists inspired by Etienne Leroux's novel Seven Days at the Silbersteins, film rights for the novel secured.
La préhistoire
LE DIVAN DU POULET
L'œuf sans coquille est une sorte d'opéra dont le thème central est le poulet. Ce thème correspond à une obsession personnelle. Je suis fétichiste de poulet. Enfant déjà, j'avais mon propre poulailler. Une fois, j'ai gagné une poule au tir à la foire de l'Eglise. Ma grosse poule brune aux reflets rouges, serrée sous le bras, j'ai pris le chemin de la maison. Cette poule aimait être assise sur mon épaule, jusqu'au jour où Mère a décidé qu'elle avait assez de viande sur l'os. Peu de temps après, elle a fini ses jours dans la marmite.

De toutes les poules que j'ai eues dans ma vie, Flabellula était ma préférée. Elle pondait un œuf par jour, parfois deux. Le soir, au coucher du soleil, j'allais la coucher sous le figuier. Je la grattais sur le dos entre les ailes. Elle émettait de doux caquètements. Elle fut un compagnon de route. Après que je me suis exilée d'Afrique du Sud, Flabellula a été donnée aux parents d'une amie qui l'ont mangée.
Pendant mon enfance, j'ai souvent assisté à l'abattage d'animaux. Dans le désert du Kalahari où vivaient jadis mes grands-parents, l'égorgement de bêtes faisait partie de la chaîne de nourriture. Mais un jour dans notre jardin au Cap, j'ai découvert Mère en train de décapiter tous mes poussins. Il y en avait une douzaine. Certains étaient déjà morts. D'autres, acéphales, se précipitaient dans leur dernière course. Ils couraient dans tous les sens en émettant des caquètements consternées. Aussi, l'aspect sacrificiel de l'abattage, ce moment de rendre sacrée une chose, s'inscrit relativement tôt dans mon paysage original.
Plus tard, j'ai retrouvé le poulet sous une forme imaginaire. Commence alors une longue recherche sur l'image du poulet, qui se manifeste par des poèmes, des performances, des films (dans un précédent film Chicken Movie Cluck!, le poulet est déjà abordé sous cette forme d'expression), des séances de photo, ainsi qu'une étude sur la présence de ces gallinacés dans pratiquement toutes les cultures du monde.
Dans L'œuf sans coquille, je voudrais associer la musique à l'imaginaire visuel du poulet. Musicologue, ma sensibilité passe aussi par l'ambiance sonore des images. La musique, ayant pour effet de dépasser la simple réalité de l'œil et de la transporter dans une autre dimension, participe au sacré. Aussi, la conception d'une image est autant sonore que visuelle. De même que pour ce film, outre le fétiche du poulet, l'amorce musicale est un thème que j'ai composé, il y a longtemps. Ce thème s'entendra consécutivement, ainsi que simultanément, joué par l'accordéon, "chanté" par des poulets ("sampling" des bruits de poulets traités) et chanté par une diva à la voix basse et un homme soprano. Les mots sont ceux de la trame narrative sonore, pas forcément dans l'ordre d'écriture, mais plutôt selon le découpage qu'imposera la forme contrapuntique de la composition musicale.
Les lieux de tournage
LE POULAILLER SANS CLOTURE
Dès l'instant où je suis entrée dans « La cour des Massacres », ancien quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre, j'ai su que ce lieu était celui qu'il me fallait pour tourner L'œuf sans coquille. Aujourd'hui la peinture défraîchie sur les bas-côtés des murs donne une impression d'abandon. Pourtant, on imagine très facilement la grande folie qui y régnait autrefois, un lieu où l'ailleurs n'avait pas de sens.
Il en fut de même pour l'ancien réservoir. Debout au milieu du bassin, parmi d'imposants piliers en pierre, on a l'impression d'être immergé dans la masse d'eau qui, dans le temps, était contenue là. Ce bassin peut également être aménagé pour des séquences prévues dans des lieux indéfinis, comme celle où les moines observent la diva sacrifier les poussins.
Pour le tournage de la scène du dîner, la pièce à poutres au-dessus du réservoir, présente le lieu idéal.
Le quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre sera donc l'unique lieu de tournage, préservant ainsi l'unité d'espace avec celle de l'unité sonore et de l'ambiance visuelle.
Les lieux de tournage :
- La pièce à poutres au-dessus du réservoir
- Le bassin et passerelles du réservoir
- « La cour des Massacres »
LES PERSONNAGES
La diva en robe de bal
L'homme en queue de pie
Les trois moines en soutanes marron
L'homme en froc et turban plastifié
La poule blanche
L'histoire
L'ŒUF SANS COQUILLE
Une lumière blafarde s'élève et traverse des voiles opaques troués d'ovales qui cernent la sphère. Du fond, provient un thème langoureux joué à l'accordéon. Par moments, syncopant le thème, des flammes artificielles dansent au centre des oves de lumière traçant des silhouettes de corps, de visages immobiles.
Les bribes de mélodie s'amplifient peu à peu alors que les éclats de lumière au centre des oves se transforment en torches de néon aux tons acidulés. Le thème évolue en une variation staccato de cris de coq. Dans la lumière multicolore, apparaît une diva à la coiffure monumentale et habillée d'une robe de bal, accompagnée de quatre moines. Ils exécutent des gestes saccadés, saisissant les torches de néon suspendues au milieu des trous ovales.

Au son de l'accordéon, s'ajoute l'incantation d'une voix tantôt basse, tantôt soprano. Puis, de doux caquètements de poules pondeuses entrent en note de pédale. La diva s'avance debout sur un socle à roulette en dessinant de petits mouvements circulaires. Elle tient sa torche dont la lueur s'intensifie progressivement jusqu'à l'éblouissement de l'image alors que l'exposition du thème s'achève.
Dans une pièce à poutres, les moines viennent se réunir autour d'une table en verre dressée de couverts transparents. La table est posée sur une palissade en bois qui entoure un trou au milieu de la pièce. Un homme en queue de pie monte dans la pièce par l'escalier avec un gros poulet de glace sur un plateau en verre et le pose au milieu de la table.
Depuis la pénombre, la voix basse de la diva s'élève et forme un duo pentatonique avec celle de l'homme en queue de pie. D'un coin de la pièce, entre deux fenêtres, roulant sur son socle, la diva s'approche de la table.
Elle prend un marteau et un ciseau et plante celui-ci dans le gros poulet. Par à-coups délicats, elle fait voler des éclats de glace. L'homme en queue de pie ramasse les morceaux dont la couleur devient jaune clair alors qu'il les touche. Il les sert aux invités puis s'installe au garde-à-vous dans la pénombre entre les deux fenêtres.
La diva enchaîne avec une autre variation du thème pendant que les moines laissent fondre les fragments de glace jaune sous leurs torches. Les éclats se métamorphosent progressivement en d'artificiels poussins jaunes et poilus. À l'accordéon, la voix tantôt basse, tantôt soprano de la diva, dont les accents sont de plus en plus hachés, s'ajoutent des sons staccato de poussins agités.
Soudain, les moines détachent des épingles de leurs cols et les enfoncent dans le bec des poussins. Les torches placées sur la table s'éteignent lentement. La diva contourne la table sur son socle tout en poursuivant son incantation dans un registre de plus en plus aigu. Fondu au noir.
Dans la pénombre qui règne sur le palier de la Cour des Massacres, des bruits de sabots résonnent sur un sol pavé. Suspendues au plafond, des ampoules s'allument. L'homme en queue de pie longe la cour flanquée de colonnes. D'une voix monotone, il marmonne des oraisons. À travers la lisière des colonnes, il s'avance, traînant par une laisse un coq artificiel posé sur un socle roulant. Les craquements des portes s'incrustent sur les voix de l'accordéon et de femme basse. À chaque fois que l'homme et le coq passent devant une porte, les bruits de poulet, suivant la mélodie du thème, s'alternent : sons de poules pondeuses, de poules excitées après avoir pondu, cris de coq annonçant l'aube, de poulets consternés... L'homme et le coq sur roulettes disparaissent au bout du corridor lorsque le thème s'achève en un chœur de sons de poulet.
Penchés vers l'avant sur des passerelles donnant sur le bassin du réservoir, les quatre moines regardent vers le bas. La voix de la diva s'élève en une version magistrale du thème. Debout devant un billot en bois, elle brandit une hache. Autour d'elle, des poussins artificiels jonchent le sol. Certains sont décapités, d'autres encore intacts. La diva lève la tête quand un homme vêtu d'un froc et d'un turban plastifié s'approche d'elle à petits pas. Il tient une poule blanche sous le bras. D'un geste répétitif, il caresse lentement la poule sous les ailes alors qu'il fixe la diva de ses yeux. Menaçant de couper la tête du poussin qu'elle tient sur le billot, elle interrompt son geste et d'une voix basse dite à l'homme :
Les lieux de tournage
LE POULAILLER SANS CLOTURE
Dès l'instant où je suis entrée dans « La cour des Massacres », ancien quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre, j'ai su que ce lieu était celui qu'il me fallait pour tourner L'œuf sans coquille. Aujourd'hui la peinture défraîchie sur les bas-côtés des murs donne une impression d'abandon. Pourtant, on imagine très facilement la grande folie qui y régnait autrefois, un lieu où l'ailleurs n'avait pas de sens.
Il en fut de même pour l'ancien réservoir. Debout au milieu du bassin, parmi d'imposants piliers en pierre, on a l'impression d'être immergé dans la masse d'eau qui, dans le temps, était contenue là. Ce bassin peut également être aménagé pour des séquences prévues dans des lieux indéfinis, comme celle où les moines observent la diva sacrifier les poussins.
Pour le tournage de la scène du dîner, la pièce à poutres au-dessus du réservoir, présente le lieu idéal.
Le quartier des aliénés de l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre sera donc l'unique lieu de tournage, préservant ainsi l'unité d'espace avec celle de l'unité sonore et de l'ambiance visuelle.
Les lieux de tournage :
- La pièce à poutres au-dessus du réservoir
- Le bassin et passerelles du réservoir
- « La cour des Massacres »
LES PERSONNAGES
La diva en robe de bal
L'homme en queue de pie
Les trois moines en soutanes marron
L'homme en froc et turban plastifié
La poule blanche
L'histoire
L'ŒUF SANS COQUILLE
Une lumière blafarde s'élève et traverse des voiles opaques troués d'ovales qui cernent la sphère. Du fond, provient un thème langoureux joué à l'accordéon. Par moments, syncopant le thème, des flammes artificielles dansent au centre des oves de lumière traçant des silhouettes de corps, de visages immobiles.
Les bribes de mélodie s'amplifient peu à peu alors que les éclats de lumière au centre des oves se transforment en torches de néon aux tons acidulés. Le thème évolue en une variation staccato de cris de coq. Dans la lumière multicolore, apparaît une diva à la coiffure monumentale et habillée d'une robe de bal, accompagnée de quatre moines. Ils exécutent des gestes saccadés, saisissant les torches de néon suspendues au milieu des trous ovales.

Au son de l'accordéon, s'ajoute l'incantation d'une voix tantôt basse, tantôt soprano. Puis, de doux caquètements de poules pondeuses entrent en note de pédale. La diva s'avance debout sur un socle à roulette en dessinant de petits mouvements circulaires. Elle tient sa torche dont la lueur s'intensifie progressivement jusqu'à l'éblouissement de l'image alors que l'exposition du thème s'achève.
Dans une pièce à poutres, les moines viennent se réunir autour d'une table en verre dressée de couverts transparents. La table est posée sur une palissade en bois qui entoure un trou au milieu de la pièce. Un homme en queue de pie monte dans la pièce par l'escalier avec un gros poulet de glace sur un plateau en verre et le pose au milieu de la table.
Depuis la pénombre, la voix basse de la diva s'élève et forme un duo pentatonique avec celle de l'homme en queue de pie. D'un coin de la pièce, entre deux fenêtres, roulant sur son socle, la diva s'approche de la table.
Elle prend un marteau et un ciseau et plante celui-ci dans le gros poulet. Par à-coups délicats, elle fait voler des éclats de glace. L'homme en queue de pie ramasse les morceaux dont la couleur devient jaune clair alors qu'il les touche. Il les sert aux invités puis s'installe au garde-à-vous dans la pénombre entre les deux fenêtres.
La diva enchaîne avec une autre variation du thème pendant que les moines laissent fondre les fragments de glace jaune sous leurs torches. Les éclats se métamorphosent progressivement en d'artificiels poussins jaunes et poilus. À l'accordéon, la voix tantôt basse, tantôt soprano de la diva, dont les accents sont de plus en plus hachés, s'ajoutent des sons staccato de poussins agités.
Soudain, les moines détachent des épingles de leurs cols et les enfoncent dans le bec des poussins. Les torches placées sur la table s'éteignent lentement. La diva contourne la table sur son socle tout en poursuivant son incantation dans un registre de plus en plus aigu. Fondu au noir.
Dans la pénombre qui règne sur le palier de la Cour des Massacres, des bruits de sabots résonnent sur un sol pavé. Suspendues au plafond, des ampoules s'allument. L'homme en queue de pie longe la cour flanquée de colonnes. D'une voix monotone, il marmonne des oraisons. À travers la lisière des colonnes, il s'avance, traînant par une laisse un coq artificiel posé sur un socle roulant. Les craquements des portes s'incrustent sur les voix de l'accordéon et de femme basse. À chaque fois que l'homme et le coq passent devant une porte, les bruits de poulet, suivant la mélodie du thème, s'alternent : sons de poules pondeuses, de poules excitées après avoir pondu, cris de coq annonçant l'aube, de poulets consternés... L'homme et le coq sur roulettes disparaissent au bout du corridor lorsque le thème s'achève en un chœur de sons de poulet.
Penchés vers l'avant sur des passerelles donnant sur le bassin du réservoir, les quatre moines regardent vers le bas. La voix de la diva s'élève en une version magistrale du thème. Debout devant un billot en bois, elle brandit une hache. Autour d'elle, des poussins artificiels jonchent le sol. Certains sont décapités, d'autres encore intacts. La diva lève la tête quand un homme vêtu d'un froc et d'un turban plastifié s'approche d'elle à petits pas. Il tient une poule blanche sous le bras. D'un geste répétitif, il caresse lentement la poule sous les ailes alors qu'il fixe la diva de ses yeux. Menaçant de couper la tête du poussin qu'elle tient sur le billot, elle interrompt son geste et d'une voix basse dite à l'homme :
La Diva
Si tu penses que cela m'est facile, tu te trompes.
Fondu au noir
Un choeur de voix de femmes tantôt basse, tantôt soprano chante en crescendo. Dans la cour, la diva et les quatre moines se promènent. Ils forment un cortège derrière elle et se dirigent vers le porche de la cour.
L'homme en queue de pie traverse l'espace en diagonale. Il passe entre la diva et les moines. La voix de la diva s'impose alors au-dessus du choeur.
Au passage, l'un des moines donne un coup de pied dans un seau en zinc renversé contre un arbre, puis continue et part vers le porche. De faibles caquètements proviennent du seau.
L'homme en queue de pie s'arrête. Il lance un coup d'oeil vers la diva, hésite, puis s'approche du seau. Il le retourne. Une poule à moitié évanouie en sort; elle se secoue, caquette doucement, puis suit le moine qui s'en va. Le cortège poursuit son chemin vers le porche par lequel il disparaît.
FIN
DE LA POULE ET DE L'ŒUF, QUI EST LE PREMIER ?
L'AMBIANCE
L'œuf sans coquille, c'est l'œuf transparent, voire translucide. Autrement dit, l'œuf travesti ou le mystère de l'œuf falsifié.
Il s'agit d'évoquer les représentations de la conscience du poulet ("chicken consciousness"). L'interprétation de ce concept privilégie davantage des « humeurs » de poulet plutôt que la réelle présence de ce gallinacé à l'écran. Les Sumériens avaient plus de 200 mots pour décrire les humeurs de poulet.
Le poulet est, soit évoqué (proche hors-cadre), soit représenté (poulets artificiels), sa présence à l'écran dans sa forme vivante étant réservée à la séquence finale. La représentation des poulets est prise en charge par les personnages, leurs déplacements et leurs rapports aux objets.
La voix du poulet constitue l'un des trois éléments du champ sonore, le deuxième étant la voix de femme basse et la voix de l'homme soprano et le troisième, l'accordéon.
L'image est appréhendée par le visuel et le sonore qui s'interpénètrent en se faisant écho à plusieurs niveaux : celui de séquences visuelles avec l'accordéon, avec le chant de la diva et de l'homme, avec les caquetages des poulets. La lumière et la musique, intrinsèquement liées, sont espace. On peut parler d'un « monde flottant ».
Le temps plane... jusqu'au moment où la diva énonce l'unique parole :
« Si tu penses que cela m'est facile, tu te trompes. »
LA TEXTURE
La transparence, la translucidité (ces textures lisses et glissantes s'opposent à celles des plumes et des coiffes monumentales).
Les couleurs : gris vert, bleu-vert et gris bleu s'enchevêtrent avec des tons pastels et acidulés, transparents ou bien opaques.
ESPACE SONORE
La bande son se compose de trois éléments principaux :
1. L'accordéon :
À partir d'un air, Air de Paris, de Rina Sherman, plusieurs variations s'enchaînent; à sa première exposition, le thème est interprété dans un style langoureux. Puis, il devient de plus en plus staccato, morcelé, haché, pour parvenir, vers la fin, à une version d'accumulation de couleurs sonores.
2. Les voix de femme baryton et d'homme soprano :
Ces voix sont entendues a capella, tantôt en solo, tantôt en choeur (les mêmes voix dédoublées). Elles suivent une trame narrative (1) venant en contrepoint avec celle des images. Ainsi, la notion de fugue double trouve l'un de ses thèmes dans l'image et l'autre dans l'espace sonore. Autrement dit, en dehors du traitement fugale des éléments sonores, il y a aussi un rapport fugale entre la narration purement visuelle et celle qui est comptée par les voix.
3. Sons de poulet :
Les sons de poulet sont construits à partir d'échantillons de sons de poules pondeuses, de poules excitées après avoir pondu, de cris de coq annonçant l'aube, de poulets consternés, de poussins agités. Ces sons sont traités en informatique et intégrés aux autres éléments sonores.
1. Le Libretto
UN COQ EST UNE FEMME
Un poulet est une femme sans duvet.
Un poulet est une femme qui chante.
En deçà des Trois Soeurs, (2) une Zephyr (3) bleu marine s'arrête.
En deçà des Trois Soeurs, une Zephyr bleu marine
Roule de plus en plus lentement,
Quitte l'asphalte
Et s'arrête à côté de tables et de chaises en béton.
Assise à côté de l'homme, une femme se penche vers l'avant
Et sort de la Zephyr,
Un rouleau de papier de toilette à la main.
Elle se dirige vers les berges d'une rivière asséchée,
Se retournant sans cesse pendant qu'elle marche.
Elle se retourne une dernière fois
Et menace du doigt son mari et son fils.
Elle porte son masque « arrête, j'aime cela ».
Elle s'incline et ses seins s'étirent loin devant elle.
Elle fait glisser son pantalon sur ses fesses,
Et ainsi accroupie, disparaît derrière une digue basse.
Un poulet est une femme sans tissu clitoridien
Et sans grandes lèvres entre lesquelles des choses peuvent être serrées.
Elle pisse sur son pantalon et sur ses jambes.
L'intérieur de ses cuisses était déjà jaunâtre
Et brûle maintenant à nouveau sous un soleil chaud.
Les poils les plus doux étaient déjà blanchis
Par toutes ces mictions salissantes.
L'homme et son fils sortent un appareil photo.
Lorsqu'elle se lève et s'incline pour enfiler son pantalon,
Ils prennent des clichés
De ses seins étirés et de ses fesses à fossettes blanches.
Elle menace alors de la tête et du doigt.
Brûlante, elle marche lentement vers l'homme et son fils.
Dans leurs yeux, elle ne voit qu'un rictus qui se rapproche.
Une Zephyr rouge roule à toute vitesse.
Sa femme regarde les Trois Soeurs par la fenêtre.
Sa fille n'est jamais descendue.
Oeufs.
2. Trois protubérances volcaniques de forme identique qui saillissent d'un paysage par ailleurs tout à fait plat.
3. Une marque de voiture.

Quelques réflexions
sur la réalisation du film
Rina Sherman
L'idée de L'œuf sans coquille, qui consiste à réunir la déstructuration d'un texte et un travail sur la voix, me vint à l'esprit lors d'un cours de direction d'orchestre, il y a environ une quinzaine d'années. Je chantais tout en dirigeant les divers chapitres : les voix se fondaient l'une dans l'autre, créant un langage aspirant au sublime. Le sens des mots y partageait la signification avec le rythme et la tonalité, où se développait, en parallèle, une narration percussive et mélodique. Cette idée perdura et, avec le temps, d'autres éléments entrèrent en jeu.
Le livret est une adaptation d'Une poule est une femme, mon premier poème à avoir été publié, texte autobiographique mêlant souvenirs d'enfance et imagerie de poulet. C'était la première fois que les poules apparaissaient dans mon travail, mais par la suite, le thème a été exploré dans des performances comme Le poulet de Schreber (1983) et dans un film, Chicken Movie. Cluck ! Les poulets y figurent sous forme de leitmotiv plastique en juxtaposition avec l'expérimentation dans la bande sonore d'un langage gallinacé décomposé. Cette trame thématique est devenue du fétichisme sous le charme de la représentation des poulets. Imaginaires ou réelles, les images de poulets provoquaient en mon être une implosion d'énergie. Pour ce qui était des poulets, mon activité préférée consistait à hypnotiser des grosses poules en leur serrant la tête sous les ailes. A cette époque, je me suis rendu compte de l'omniprésence des références au poulet dans la culture globale. Souvent, lorsque les gens prenaient connaissance de cette préoccupation, ils racontaient de vieilles histoires de poulet. Le charme a été rompu avec la réalisation de L'œuf sans coquille qui représente le dernier chapitre d'une histoire de poulet qui avait duré plusieurs décades.
Le second élément autobiographique est la scène du massacre. J'avais environ neuf ans, quand, un jour, du seuil de la porte de cuisine, je vis ma mère en train de décapiter mes douze poulets. Certains, acéphales, couraient encore, d'autres piaillaient de terreur et, déjà, de nouvelles têtes tombaient sur le sol avec un dernier cri. Comme je m'approchais à la lumière du soleil, ma mère me vit. Elle leva sa hache tout en maintenant dans l'axe, le volatile suivant. Puis elle me dit : "Si tu crois que cela m'est facile. tu te trompes", avant d'abattre la lame sur le billot maculé de sang et d'envoyer voler de part et d'autre la tête et le corps d'un nouveau poulet. Transposés dans la sphère de la poétique, ces événements trouvent ainsi leur expression dans le film.
Le comportement de ma mère doit être replacé dans son juste contexte : nous devions partir en vacances le lendemain et il n'y avait personne pour garder le zoo où j'avais peu à peu rassemblé hamsters, lapins, souris, serpents, perroquets, grenouilles... Ma mère avait grandi dans une ferme du Nord du Cap, près de Mafeking, où les abattages faisaient partie de la survie quotidienne. Enfant, j'assistais parfois à ce genre de tuerie. Plus tard, je mangeais de la viande. L'acte d'abattre des animaux ne me choquait pas et il figure souvent dans mon travail sous l'aspect du sacrifice rituel, l'un des éléments de violence et l'une des dimensions de l'imaginaire sud-africain. Ce qui m'a choquée, était le fait que ma mère ne s'attendait apparemment pas à ma venue et, que, lorsqu'elle me vit, elle ait voulu se justifier. A certains moments dans la vie, nous sommes tous confrontés au sacrifice d'un aspect matériel ou spirituel de notre vie. C'est une erreur que d'en pleurer. La vie est un temps injuste et solitaire où beaucoup d'êtres humains sont fondamentalement mauvais; tout bien qui résulte de leurs actes est un cadeau.

Pour ce qui est de la mise en scène, j'ai essayé de créer un flux continu entre l'image et le son. Avec Jean Pacalet, compositeur et accordéoniste, le travail commença il y a plus de trois ans. Du thème principal écrit naguère, lors de mes études de musique, je lui ai demandé de tirer une partition en fugue où s'expriment tour à tour chant, accordéon et langage de poulet, le thème principal entrant également en relation thématique avec les images. Jusqu'à la finition du film, nous avons voulu qu'image et son dominent à tour de rôle.
En ce qui concerne le casting du film, au départ, je voulais trouver une femme avec une voix basse pour le rôle de la Diva. Il y a longtemps, en Afrique du Sud, j'avais travaillé, pour des performances, avec une comédienne répondant à ce réquisit. Mais il s'avérait difficile à trouver cela en France, puis éventuellement, j'ai décidé de diviser le rôle en deux, avec une femme qui chantait d'une voix de soprano et un homme qui avait une voix de haute-contre. Mais, lors d'une rencontre avec Thierry Dubost, après l'avoir vu, deux ans auparavant, dans une pièce de théâtre donnée au Château de Vincennes, je lui ai demandé s'il accepterait d'interpréter le rôle d'un hermaphrodite. Il a donné son accord sans hésitation. Je n'avais pas, non plus, oublié la magie de son interprétation où il avait enfilé une centaine de pulls de toutes les couleurs, puis les avait tous enlevés sans répéter ses gestes. Je n'avais non plus oublié son improvisation, vers la fin du spectacle, d'une aria d'opéra chantée "en langue". A ce moment précis, la Diva est devenue, définitivement, un homme chantant avec une voix de castrat. Trouver un acteur à la hauteur de la maîtrise d'improvisation de Dubost, pour le rôle du valet, n'était pas chose facile. J'ai aussitôt pensé à l'improvisation poétique et instinctive de Jean Rouch à travers l'œil de sa caméra et je lui ai demandé d'interpréter le rôle du valet. Pour les autres acteurs, j'ai plutôt cherché des visages et des présences pour des moines et l'esclave qui devraient jouer des rôles prototypes, tels que des poupées raides. Au tournage, il y avait des moments de magie alors que l'interprétation minimaliste de Rouch contrastait avec l'outrance que Dubost ne cessait d’improviser pour la Diva.
Le film a été tourné dans le décor des vieux quartiers de l'hôpital Kremlin-Bicêtre à l'extérieur de Paris. La scène de l'abattage sacrificiel fut située dans l'ancien réservoir construit en partie par les habitants, et la séquence finale dans la Cour des Massacres, où, pendant la Révolution, une expédition de Parisiens vint "nettoyer" Bicêtre. Environ 300 "malades psychiatriques" furent tués, qui comprenaient à l'époque tous ceux qui étaient atteints de maux allant de l'infection vénérienne au désordre mental.

L'œuf sans coquille pourrait être considéré comme une tentative de synthèse artistique avec différentes trames autobiographiques portées alternativement par l'image et le son, tentative matérialisée par la poétique du poulet à travers un leitmotiv visuel et sonore ainsi qu'un décor chargé d'un sens tragique par son histoire. Ces divers éléments trouvent une unité dans l'allusion continuelle à des presque-symboles lorsqu'un rite fictif en rejoint un autre.
Pourquoi L'œuf sans coquille ? Mais, répondra-t-on, est-ce qu'un œuf transparent peut être moins mystérieux ? La démystification de sphères cachées est représentée par le traitement transparent de la conception visuelle. Le film utilise rêve et mémoire comme matériaux de base et, en un sens, peut être interprété comme une narration de l'inconscient. Après que la mère d'un homme lui ait raconté un rêve où elle faisait l'amour avec l'un des frères de celui-ci, elle conclut par cette remarque : "Mais, cela ne me concerne pas, c'est mon inconscient." Le personnage principal du film, la Diva, mène le jeu comme une ode à l'hermaphrodisme spirituel où l'éducation sentimentale ne masque pas le caractère duel de notre nature. Son approche de la vie comme réalité que nous devenons, au moins en partie, à mesure que nous nous créons nous-mêmes, par contraste avec la vie comme seule adaptation à un jeu d'absolus, lui demande un sacrifice continu, dont l'expression conclusive dans la scène finale consiste à sa résignation en la solitude ultime de la condition humaine.
Rina Sherman
Paris, Juin 1992.
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