Un an après la victoire de Nelson Mandela, la nouvelle Afrique du Sud est célébrée à la Grande Halle de La Villette, jusqu’au 75 juin. Avec la récente compilation « African Solution », on est également conviés à un voyage à travers les époques et les styles.
Aux temps les plus durs de l’apartheid, la musique a toujours joué un rôle catalyseur dans la résistance populaire. Comme l’écrit à juste titre Denis-Constant Martin, conseiller artistique du festival de La Villette, « c’est le plus grand paradoxe de l’Afrique du Sud que nous conte la musique : dans le pays où la ségrégation raciale a été le plus longtemps, le plus minutieusement, institutionnalisée, il n’y a de culture vivante que métissée ».
« L’élection d’un président qui a fait vingt-sept ans de prison, c’est exceptionnel, on avait envie de fêter ça », explique Bertrand Collette, responsable du projet. « Quand on va en Afrique du Sud, les mythes tombent devant la réalité : un pays où, prétendument, il n’y aurait plus d’apartheid… L’apartheid social, celui qui est lié à la différence de richesse, est extrêmement fort. J’étais choqué de constater que Soweto, ville de plusieurs millions d’habitants, se situant à treize kilomètres du centre de Johannesburg, n’est même pas indiqué sur les panneaux ! »
Le célèbre trompettiste Hugh Masekela, exilé et engagé, à l’instar de son ex-épouse Miriam Makeba, dans une lutte infatigable, est rentré au pays et transmet son expérience à la jeunesse. Le retour des exilés a donné un coup de fouet. Le niveau musical est élevé. A la différence de bien d’autres pays du continent, il existe des studios d’enregistrement et des structures qui permettent à l’industrie musicale de se développer. A la Grande Halle de La Villette, c’est ce foisonnement culturel qui est réflété, avec la participation de 100 artistes.
De 19 heures à 24 heures, selon un parcours scénographié et autour de trois scènes, le spectateur peut écouter de la musique et de la poésie, regarder une expo photos, des images d’archives et des films, savourer au restaurant des spécialités du pays. Dans un shebeen reconstitué – bar interdit sous l’apartheid -, Vusi Mahlasela délivre ses mélopées aériennes. Sur la grande scène, un big band, dirigé par Hugh Masekela, rassemble trente des meilleurs musiciens de la place, toutes générations et tous styles confondus : le tromboniste Jonas Gwangwa, le saxophoniste Peter Mokonotela, la chanteuse Dolly Rathaebe, sorte d’Ella Fitzgerald des townships, qu’avait enlevé un « tsotsi » (bandit) éperdu d’amour (1)…
Le grand orchestre nous promène au fil des genres, de la kwela (musique de rue avec flûte et guitare), au rythme enjoué mbaqanga, du jazz aux fameux choeurs masculins, du marabi (style urbain apparu dans les années vingt dans les shebeens) à la fusion moderne.
Le CD « African Solution » illustre cette diversité (2). Il inclut un extrait de la dernière comédie musicale (« African Solution ») de Mbongeni Ngema, artiste de renom (musicien, acteur, auteur et metteur en scène). Trois Tony Awards l’ont récompensé en 1988, pour la composition, la chorégraphie et la mise en scène de la comédie musicale « Sarafina ». Sur une autre plage, le chanteur-guitariste Ihashi Elimhlophe marie le chant zoulou à un jeu de guitares obsédant. La luxuriance polyphonique est présentée par des choeurs (IPCC et New South Africa), tandis que le flambeau du reggae est porté par Free At Last (groupe coqueluche de la jeunesse noire, comprenant des musiciens de Lucky Dube) et par le chantre rasta Jumbo. Le chanteur afrikaner Johannes Kerkorrel (invité à La Villette le 9 juin) projette sa rébellion dans un rock galvanisant. La compilation rend hommage aux anciens. Les Dark City Sisters ont chanté, dans les années cinquante, un cocktail de marabi et boogie-woogie.
Egalement présents dans ce parcours discographique, les Soul Brothers. Fondé en 1974, ce groupe, qui a enregistré 23 disques, est un des plus gros vendeurs de galette vinylique par centaines de milliers d’exemplaires. Il n’a cessé de promouvoir le mbaqanga, sorte de blues sud-africain dont le nom désigne, en zoulou, un pain de maïs : une façon d’exprimer que le mbaqanga constitue l’aliment de base de la culture populaire. Lorsque j’avais rencontré, en Afrique du Sud, au milieu des années quatre-vingt, Moses Ngwenya, pianiste et coleader des Soul Brothers, il m’avait confié : « Avec le mbaqanga, nous restons attachés à notre peuple. Nous venons de familles pauvres. Nous ne savons pas lire ni écrire la musique. Nous sommes autodidactes. Au début, nous avons commencé par copier la pop occidentale. Jusqu’au jour où nous avons eu conscience de la force de notre culture et qu’il fallait absolument garder celle-ci vivante. » Les Soul Brothers sont au nombre des invités prestigieux que reçoit chaque soir le big band et se produiront ce soir. Un événement. Ils n’avaient jamais joué en France.
(1) Invités : ce soir, Soul Brothers ; 23, 24, 27 et 28 mai ; Johannes Kerkorrel 25 et 26 ; 1er et 2 juin, Dolly Rathaebe et Dorothy Masuka ; 3, 4 et 5, Mahlathini & Mahotella Queens ; 7 et 8, Johnny Clegg et Sipho Mchunu ; 9, 10 et 75 juin, Sibongele Khumalo. Renseignements : 40.03.75.33.
(2) CD : « Soul Brothers, Jump and Jive » (Earthworks) ; « Wusi Mahlashela, Wisdom of for Giveness (Indigo Label bleu / Harmonia Mundi) ; « African Solution » (Indigo Label bleu / Harmonia Mundi).
Fara C.